Rached Ghannouchi: L’Ayatollah tunisien? | Giuliana Sgrena
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Rached Ghannouchi: L’Ayatollah tunisien?

Il y a un homme dans la politique tunisienne qui semble avoir en main toutes les ficelles du pouvoir, meme s''il n''occupe aucun post oficiel dans l''Etat.'

Rached Ghannouchi: L’Ayatollah tunisien?
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1 Febbraio 2012 - 22.31


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Par Hanène Zbiss Dans tout ce marasme politique dans lequel est plongé le pays, il y a un homme dont on ne comprend pas très bien la fonction dans l’Etat et qui semble avoir en main toutes les ficelles de la gestion de la politique intérieure mais aussi extérieure du pays. Cet homme c’est Rached Ghannouchi.

Il effectue des visites à l’étranger parlant au nom du gouvernement. Il est dans tous les meetings qui réunissent le chef du gouvernement avec les leaders étrangers, en visite en Tunisie et il multiplie les déclarations aux chaines internationales sur la situation politique du pays. Ghannouchi est l’homme providentiel qui fait tout, s’ingère dans tout mais qui n’occupe aucun poste officiel dans l’Etat. «C’est son choix», comme il aime bien le répéter dans les nombreuses interviews qu’il accorde aux médias nationaux et internationaux.

Dernièrement, il a déclaré à Al Jazira : «Si j’avais voulu, j’aurais pu avoir un poste gouvernemental, puisque je suis le chef du parti majoritaire dans le pays, mais je n’en veux pas». Et pour cause, occuper un portefeuille ministériel aurait limité sa liberté d’action. Or, Rached Ghannouchi voudrait avoir les mains libres pour s’ingérer partout et contrôler tout le monde. Il représente une sorte «d’Ayatollah à la tunisienne». Et peu importe si cela dérange l’opinion publique nationale.

Mainmise sur la politique étrangère

Il importe de rappeler que monsieur n’a pas attendu la formation du gouvernement pour commencer sa tournée à l’étranger afin “de renforcer les relations de la Tunisie post révolutionnaire avec les pays amis”. Avant même que soient divulgués les résultats finaux des élections consacrant la majorité de son parti, il est allé voir son nouvel allié, l’émir de Qatar, pour le rassurer de l’allégeance des islamistes et lui demander un appui financier. Puis, ce fut la visite en Algérie où il a été reçu comme un chef d’Etat. S’en ont suivies d’autres visites, en Libye et en Turquie.

Mais la plus spectaculaire reste celle des Etats-Unis. Invité par la Revue Foreign Policy, qui l’a classé parmi les «100 penseurs les plus influents de l’année», c’était une occasion pour le chef du mouvement Ennahdha de rencontrer des responsables américains, mais surtout de faire un exposé au Washington Institute for Near East Policy (WINEP) où il a cherché à rassurer quant aux intentions des islamistes, notamment vis-à vis d’Israël. Reste qu’il est allé un peu loin, en niant des déclarations faites dans le passé, concernant les Etats-Unis qu’il avait traités de «Grand Satan» et la première guerre du Golfe où il a défendu l’occupation du Koweït par l’Irak. Mieux, il a même promis que la prochaine Constitution ne contiendra pas d’articles condamnant Israël. L’on se demande ici de quel droit et en quelle qualité, il fait de telles promesses ? Mais, passons.
Il avait pensé que de telles déclarations seraient restées secrètes, mais voilà que l’Institut les publie intégralement, le mettant dans une situation embarrassante d’abord vis-à-vis du peuple tunisien mais aussi vis-à-vis de l’Arabie Saoudite qui s’est sentie offensée par ses propos annonçant la chute prochaine des monarchies du Golfe sous le poids des contestations populaires, encouragées par les révolutions arabes. Au lieu d’assumer ses dires, Ghannouchi a nié tout en bloc et a exprimé son intention de porter plainte contre l’Institut qui aurait, selon lui, «déformer ses paroles».

Cette affaire a altéré sa crédibilité et a porté atteinte à son parti qui attend toujours de tenir son congrès. «On ne ment pas aux Américains ! Le double langage ne marche pas avec eux et Ennahdha risque de perdre leur soutien», affirme Hamadi Redissi, politologue.

«La diplomatie populaire»

Un tel incident malgré sa gravité ne semble pas l’inciter à revoir sa démarche. Il continue à s’ingérer d’une manière flagrante dans la politique étrangère tunisienne. Selon certains observateurs, c’est lui qui serait derrière l’invitation du chef du Hamas, Ismaël Haniya en Tunisie et celle de l’émir du Qatar, le 14 Janvier. En plaçant son gendre, Rafik Abdessalem Bouchlaka, à la tête du ministère des Affaires étrangères, il semble avoir mis la main sur la diplomatie du pays. On dit même qu’il aurait un bureau dans ce ministère pour toute fin utile… Le pire c’est qu’on le retrouve dans toutes les rencontres officielles avec les leaders étrangers venus en visite en Tunisie.
«Il n’apparaît pas comme simple chef de parti mais comme une figure nationale qui est associée à ce que fait le gouvernement et c’est là où il y a un vrai souci de confusion entre le parti et l’Etat. J’aimerais bien qu’on ne récidive pas dans des pratiques dont nous avons souffert dans le passé avec Ben Ali», souligne Nadia Chaâbane, militante politique et membre de la Constituante.

Quand on pose la question à Ghannouchi, sur la nature de son rôle dans le gouvernement, il sort un argument de taille, à savoir qu’il exerce «la diplomatie populaire»! Un concept anglo-saxon qui signifie que des députés, des militants de la société civile ou des grandes personnalités reconnues dans un pays peuvent intervenir auprès de leur réseau de relations et de connaissances à l’étranger pour aider leurs pays sur le plan politique ou économique. C’est un concept très en vogue surtout aux Etats-Unis où il y a déjà des lobbies très puissants qui jouent ce rôle. Cette sorte de diplomatie «parallèle» a-t- elle lieu d’être quand la diplomatie officielle fait déjà ses premiers pas trébuchants ? Ce n’est pas une manière de s’y substituer ? Et puis pourquoi ce droit est-il uniquement réservé à Ghannouchi et pas à d’autres?
«Si on veut réellement s’inscrire dans une diplomatie plus participative et plus populaire, dans ce cas, que cela soit permis à tout le monde!, s’indigne Châabane. «Il n’a pas le droit de se considérer comme porte-parole du gouvernement. Il n’a pas été élu, ni désigné et il n’occupe pas un rôle officiel. S’il a par contre un rôle officieux et qui est toléré, il faut qu’on le sache. Et que tout soit fait dans la transparence!», ajoute-t-elle.

Ingérence dans les choix de politique intérieure

Mais au-delà de l’ingérence dans la politique extérieure du pays, le chef du parti Ennahdha, intervient aussi dans la politique nationale. «Il a joué un rôle décisif dans le choix des ministres qui font parti du gouvernement», indique, Abdelaziz Mzoughi, avocat et analyste politique. Et il n’est pas le seul à le révéler. Des ministres eux- mêmes disent avoir étés contactés directement par Ghannouchi et non pas par l’actuel chef du gouvernement. Tout le monde se rappelle déjà la polémique provoquée par la nomination du gendre de Ghannouchi à la tête du ministère des Affaires étrangères. C’était la preuve la plus irréfutable sur l’étendue du pouvoir de ce dernier. Mais des observateurs de la scène politique le soupçonnent d’appuyer aussi l’actuel président, Moncef Marzouki qui semble entretenir un rapport spécifique avec le chef d’Ennahdah. En témoigne, les concordances dans leurs déclarations. Dernier exemple en date, c’est la question de l’unification de la Tunisie et de la Libye. Marzouki sait très bien qu’il est l’homme fort du pays et se réfère directement à lui pour demander sa bénédiction.

Et les deux autres membres de la Troïka, où sont-ils? Et comment acceptent-ils la présence de Ghannouchi?

Selon Abdelzaziz El Mzoughi, les deux alliés, le CPR (Congrès pour la République) et Ettakttol sont tellement faibles et complètement “bouffés” par Ennahdha qu’ils n’osent pas mettre en cause l’ordre établi par de parti majoritaire. Ils acceptent pratiquement tous ses choix et rares sont les fois où ils ont osé les contredire.

Pouvoir absolu au sein d’Ennahdha

Si Gannouchi bénéficie d’une telle aura au sein du gouvernement, cela est dû en grande partie à son pouvoir au sein d’Ennahdha. Car il est clair que la séparation entre gouvernement et parti majoritaire n’a pas été opérée, à l’image de ce qui se passait à l’époque de Ben Ali. Résultat : le leader islamiste gère le gouvernement comme s’il gérait son propre parti sur lequel il a la mainmise.

Il est vrai que même Ennahdha est traversée par des conflits internes, bien que ses dirigeants fassent de tout pour les étouffer. On connaît désormais la traditionnelle division entre ceux de ses adhérents ayant la légitimité de la prison et ceux ayant celle de l’exil. Des divergences sont en train d’agiter le mouvement islamiste de l’intérieur et qui mettent en cause même, les nominations des ministres nahdhaouis au sein du gouvernement. Le seul qui échappe à la contestation, c’est encore Ghannouchi étant le leader historique d’Ennahdha, mais aussi celui qui tient en main toutes les ficelles du mouvement, outre ses sources de financement. Et ce n’est pas le prochain congrès, dont le parti ne veut pas encore dévoiler la date, qui changerait la donne.

Morale de l’histoire: Ghannouchi est le maître absolu, le timonier de ce gouvernement nahdhaoui même s’il n’en fait pas partie officiellement. A moins que l’annonce de Jebali de son intention d’élargir la composition du gouvernement à l’opposition pourrait modifier demain, quelque peu la réalité.

publié sur Réalités du 26 janvier

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