Tunisie, des dangers menacent l’école de la République | Giuliana Sgrena
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Tunisie, des dangers menacent l’école de la République

Sans avoir été consultés, les responsables des institutions apprennent, par voie de presse, le projet qui envisage de désagréger l''enseignement public à l’université de la Zitouna.'

Tunisie, des dangers menacent l’école de la République
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18 Maggio 2012 - 09.17


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Sans avoir été consultés, ni informés, les responsables des institutions et des syndicats
de l’enseignement ainsi que les enseignants apprennent, par voie de presse, le projet de
régénération de l’université de la Zitouna qui, outrepassant ses prérogatives théologiques
d’autrefois, se propose de dispenser un enseignement général à des élèves dès l’âge de douze
ans et ambitionne de créer différentes filières d’enseignement supérieur en sciences humaines
et exactes, en médecine, en génie civil, etc…

Ce projet qui envisage de désagréger l’enseignement public, vise, aux dires de ses
initiateurs, à pallier ses insuffisances.

Le samedi 12 mai 2012, le projet annoncé quelques jours auparavant, devient réalité.
En présence du représentant personnel du président du conseil des ministres et du président du
mouvement Ennahdha, Rached Ghannouchi., une convention est signée par Houcine Labidi,
responsable de l’enseignement zitounien et par les ministres des Affaires religieuses, de
l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur. Cette convention, déclare M. Houcine
Labidi « fait office d’engagement de soutien et de solidarité de l’Etat à l’égard de cette
honorable institution sans plus. Notre enseignement est indépendant de toute partie.» (La
Presse, mardi 15 mai 2012).

Ce n’est pas tant la relance de l’enseignement zitounien que la totale liberté de cette
institution et la mainmise des wahhabites et des chefs de l’islam politique qui suscitent
l’inquiétude des défenseurs de l’école de la République tunisienne et de certains théologiens
prônant un islam sunnite modéré. En effet, nul ne conteste les bienfaits d’un enseignement
religieux capable de former des théologiens dignes de ce nom, c’est-à-dire des penseurs
soucieux d’inscrire la religion musulmane dans son siècle, dans le respect des libertés
fondamentales, des lois du pays, des autres cultures et des autres religions. Un tel
enseignement sauverait, peut-être, le pays du diktat des cheikhs autoproclamés et de l’islam
politique dont ils sont les défenseurs acharnés.

Malgré les allégations de M. Houcine Laabidi, qui dénie toute allégeance de la
nouvelle institution à une personne ou à un parti, la volonté politique de poser les bases d’un
islam radical est évidente. La présence de M. Rached Ghannouchi, les louanges dont il a été
couvert, la violence exercée par des groupes d’extrémistes sur des journalistes ou de simples
citoyens témoignent de la politisation de l’enseignement comme d’une volonté de changer le
visage de la Tunisie et de détruire l’héritage bourguibien.

Déjà fonctionnel, le centre d’enseignement zitounien fait fi des lois et des règlements
de la République en réactivant tout un appareil juridique en pratique sous le protectorat
français. Ainsi, c’est au moyen d’une levée des scellés apposés en 1958 qu’il s’octroie le droit
de s’approprier tant la Grande Mosquée que la mosquée de Sidi Youssef et les locaux de
l’Institut supérieur des sciences humaines de Tunis.

Indépendant de toute tutelle, libre d’élaborer ses programmes et ses diplômes, cet
enseignement, dont les méthodes pédagogiques et les financements demeurent indéfinis,
menace l’enseignement de la République. Rappelons qu”en Tunisie, tous les établissements
d’enseignement privés du primaire au supérieur ont pour obligation de suivre les programmes
publics et d”être contrôlés. La nouvelle Zitouna serait donc seule à échapper au droit commun.
Les choix modernistes de la Tunisie ont su mener, dans le respect et dans la droite
ligne de l’histoire et des traditions nationales, les Tunisiens à acquérir et approfondir sans
préjugés et en toute indépendance des connaissances qui permettent aujourd’hui à l’État
comme aux citoyens de faire face aux questions économiques, politiques et morales et de
rester debout.

Ainsi, face à cet enseignement qui ne peut que renforcer le courant salafiste et au
danger de régression qui guette les institutions scolaires et universitaires et, par conséquent la
société tunisienne tout entière, il est nécessaire de constituer un Comité national de veille,
d’action et de défense de l’école de la République dont le but serait d’unir toutes les forces
démocratiques afin que l’école républicaine, un des principaux acquis de l’indépendance, soit
sauvée.

Rabâa Ben Achour-Abdelkefi

Universitaire

Mai 2012

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